NOTES
Guizot (ouvrage cité, p. XXIV-XXVI) est plus disert, voire bavard:
« Ni les occupations auxquelles semblait destinée la vie de Shakspeare, ni les amusemens et les compagnons de ses loisirs, ne lui offraient rien qui pût saisir et absorber cette imagination dont la puissance commençait à ébranler son être. Livrée à tout ce qui se rencontrait, parce que rien ne la pouvait satisfaire, la jeunesse du poëte accepta le plaisir, sous quelque forme qu'il se présentât. Une tradition des bords de l'Avon, d'accord avec la vraisemblance, donne lieu de penser qu'il n'avait guère que le choix des plus vulgaires divertissemens. Voici cette anecdote, telle que la racontent encore, dit-on, les gens de Stratford et ceux de Bidford, village voisin, renommé, dès les siècles passés, pour l'excellence de sa bière, et aussi, ajoute-t-on, pour l'inextinguible soif de ses habitans.
La population des environs de Bidford, partagée en
deux sociétés, connues sous le nom des Francs buveurs et des Gourmets de Bidford, était dans l'usage de
défier à des combats de bouteille tous ceux qui,
dans les lieux d'alentour, se faisaient honneur de quelque mérite dans ce genre d'épreuves. La jeunesse de
Stratford, provoquée à son tour, accepta vaillamment
le défi; et Shakspeare, non moins connaisseur, assure-t-on, en fait de bière, que Fastalff en fait de vin d'Espagne, fit partie de la bande joyeuse, dont sans doute
il se séparait rarement. Mais les forces ne répondaient
pas au courage. Arrivés au lieu du rendez-vous, les
braves de Stratford trouvent les Francs buveurs partis
pour la foire voisine; les Gourmets, moins redoutables,
selon toute apparence, demeuraient seuls, et proposent d'essayer la fortune des armes; la partie est acceptée; mais, dès les premiers coups, la troupe de
Stratford, mise hors de combat, se voit réduite à la
triste nécessité d'employer ce qui lui reste de raison à
profiter de ce qui lui reste de jambes pour exécuter sa
retraite; elle paraissait même difficile, et devient bientôt impossible; à peine a-t-on fait un mille que tout
manque à la fois, et l'armée entière établit, pour la
nuit, son bivouac sous un pommier sauvage encore
debout, s'il en faut absolument croire les voyageurs,
sur la route de Stratford à Bidford, et connu sous le
nom de l'arbre de Shakspeare. Le lendemain ses camarades, réveillés par le jour et rafraîchis par la nuit,
voulurent l'engager à retourner avec eux sur ses pas
pour venger l'affront de la veille; mais Shakspeare s'y
refusa, et jetant les yeux autour de lui sur les villages
répandus dans la campagne: « Non, s'écria-t-il, j'en ai
assez d'avoir bu avec
Pebworth le flûteur, le danseur Marston,
Hibrough aux revenans, l'affamé Grafton,
Exhall le brigand, le papiste Wicksford,
Broom où l'on mendie, et l'ivrogne Bidford.
Cette conclusion de l'aventure fait présumer que la
débauche avait moins de part que la gaieté à ces excursions de la jeunesse de Shakspeare, et que, sinon la poésie, du moins les vers étaient déjà pour lui le langage naturel de la gaieté. La tradition a conservé de
lui quelques autres impromptus du même genre, mais
attachés à des anecdotes moins intéressantes; et tout
concourt à nous représenter cette imagination riante
et facile se jouant, comme elle le pouvait, au milieu
des grossiers objets de ses amusemens, et l'ami futur
de lord Southampton charmant les rustiques riverains
de l'Avon par cette grâce animée, cette joyeuse sérénité d'humeur, cette bienveillante ouverture de caractère qui trouvaient ou faisaient naître partout des
plaisirs et des amis.
Voici cependant, au milieu de ces grotesques folies, un événement bien sérieux qui trouve sa place, le mariage de Shakspeare. »